Patrice Carayon dirige depuis six ans le Laboratoire Chieisi, une filiale française d'un laboratoire italien familial. L'entreprise regroupe en France l'activité de deux entités juridiques : un laboratoire pharmaceutique Chiesi S.A.S et un laboratoire de compléments alimentaires NHCO Nutrition. Patrice Carayon est également président de l'association Tulipe.
Interview à retrouver sur la Lucky TV ou en version retranscrite ci-dessous.
Chiesi, un des premiers laboratoires pharmaceutiques en France à utiliser la possibilité de devenir une entreprise à mission
Lucky Link : Qu'est ce qu'une entreprise à mission ?
Patrice Carayon : Nous ne sommes pas encore une entreprise à mission mais nous sommes sur le chemin pour le devenir. En revanche, nous revendiquons d'être le premier groupe pharmaceutique international à être certifié B Corp.
Cette certification nous engage et nous a amené à travailler sur notre raison d'être, que nous avons mis dans nos statuts. Celle-ci va être suivie par un comité de suivi pour que nous puissions devenir officiellement société à mission au premier trimestre 2021.
Nous sommes donc sur le chemin final pour devenir probablement un des premiers laboratoires pharmaceutiques en France à utiliser la possibilité de devenir une entreprise à mission, comme cela a été défini dans la loi Pacte.
Cela nous amène à avoir un certain nombre d'engagements aussi bien vis-à-vis de nos salariés, que de la société civile, ou des partenaires de santé.
Lucky Link : Quelle différence entre certification B Corp et entreprise à mission ?
Patrice Carayon : La certification B Corp représente un audit qui est focalisé sur des pratiques sociétales de l'entreprise dont les pratiques sociales et environnementales.
Cette certification B Corp nous a été demandé pour toutes les filiales du groupe Chiesi pour savoir où nous en étions. Nous sommes parti de l'actionnaire vers les filiales pour que l'on comprenne qu'elles étaient les attentes. Il y avait une volonté pour la famille Chiesi d'arriver à faire évoluer l'entreprise au plus haut niveau de l'engagement sociétal. L'objectif était d'aller le plus loin possible dans ce que le cadre légal permet dans le pays d'exercice. Par exemple, nous sommes "Società Benefit" en Italie. Nous sommes "Benefit Corporation" aux Etats-Unis. En France, nous sommes donc B-Corp, et nous serons bientôt société à mission en France.
Les mots sont similaires mais cela ne veut pas dire la même chose en terme d'engagement.
Lucky Link : Pourquoi s'inscrire dans ces mouvements d'engagement d'entreprise ?
Patrice Carayon : La famille Chiesi a vraiment eu une prise de conscience très forte avec un changement de génération à la direction de Chiesi. La troisième génération est très impliquée dans ce mouvement-là.
Cela vient de décisions très personnelles dans ces entreprises familiales. Nous connaissons, par exemple, l'évolution du groupe Yves Rocher où nous remarquons bien que cela est lié à la personnalité du fondateur et de son petit fils Bris Rocher. Cela a été le cas également chez Chiesi avec aujourd'hui notre "Chef Operating Officer" Alessandro Chiesi et notre "Chef Sustainability Officer" Maria Paola Chiesi.
"En ce qui me concerne, c'est très important parce que cela donne un sens à ce que je fais. "
En effet, nous mettons à disposition des médicaments pour les patients qui en ont besoin. De plus, il y avait également un engagement qui résonnait très fortement en moi, qui était un engagement vis-à-vis de la société civile dans son ensemble, vis-à-vis des collaborateurs de Chiesi, quant à l'engagement que nous pouvions avoir, en particulier l'engagement environnemental.
Lucky Link : Que diriez-vous à une entreprise qui souhaite s'engager dans ces mouvements ?
Patrice Carayon : La première chose que je dirais à quelqu'un qui veut aller dans ce mouvement là, est de rejoindre une communauté active, qui est la communauté d'entreprises à mission parce que ça donne tout de suite un endroit où l'on peut avoir des "Best Practices Sharing".
Il y a un vrai engagement qui se vit. Demander un audit ça peut être "top down" , il faut faire en sorte que chacun bâtisse la raison d'être de l'entreprise. Chez Chiesi, nous avons fait des groupes de travail multiples avec des gens de l'usine, des gens de la visite médicale, des gens du siège, des gens NHCO Nutrition, des gens de Chiesi. Il y a eu énormément de remontées de terrain. Ensuite, nous avons été accompagnés par une société qui nous a permis de synthétiser ce que l'on voulait mettre dans notre raison d'être.
" Cela donne une force de l'engagement et de l'importance du rôle qu'on peut avoir pour la société qui ajoute une dimension de sens très forte pour les collaborateurs. "
Il ne faut surtout pas sous-estimer le temps. C'est un engagement fort, donc il faut vraiment y aller dans la durée. Ce n'est pas un processus court car on transforme l'entreprise, ses statuts. Cela est vraiment au-delà des directions.
En revanche, ça donne un sens à tous. Cela donne une force de l'engagement et de l'importance du rôle qu'on peut avoir pour la société qui ajoute une dimension de sens très forte pour les collaborateurs.
C'est pour cette raison que cela nous a animée au sein du comité de direction, le fait de se dire que nous laissons quelque chose de fort pour l'entreprise en France.
Lucky Link : Qu'est ce que l'association Tulipe ?
Patrice Carayon : On m'a proposé d'être président de Tulipe, qui est une association à intérêt général regroupant beaucoup d'acteurs de santé afin de mettre à disposition des médicaments, des dispositifs médicaux, des compétences à des ONG. Nous somme l'intermédiaire entre les entreprises de santé et les ONG, à travers un entrepôt que nous gérons.
Lorsque j'ai annoncé à la famille Chieisi que l'on me proposait de prendre la présidence de Tulipe, que cela avait un sens par rapport à nos engagements et au temps que l'on voulait consacrer à la société civile. La réponse a été évidente : il fallait que j'y aille et je prendrais le temps nécessaire pour bien faire ce travail, c'était tout à fait dans mon mandat.
" Je pense qu'une entreprise qui donne du sens à ses collaborateurs va ressortir de manière plus forte. "
Lucky Link : La crise sanitaire va t-elle faire, selon vous, évoluer les entreprises sur ces sujets ?
Patrice Carayon : Les générations qui arrivent sur le marché du travail sont de plus en recherche de sens. Cette crise augmente cette recherche de sens pour tous les salariés. Nous vivons une période tellement tourmentée que chacun s'est posé des questions sur ce qu'il faisait, sur son travail, la manière et le contexte dans lequel il exerce.
Je pense qu'une entreprise qui donne du sens à ses collaborateurs va ressortir de manière plus forte. Dans cette période, je ne veux pas faire de comparaison mais pour ma part je suis très satisfait de l'engagement des collaborateurs..
Je souhaiterais que l'on soit un maximum d'entreprises à pouvoir concilier les objectifs commerciaux avec les objectifs environnementaux et sociaux pour apporter plus de sens à nos collaborateurs.
Lucky Link : Chez Lucky Link nous facilitons le lien entre patients et entreprises de santé afin de valoriser l’expertise des patients. Que pensez vous de ce lien entre responsabilité sociétale et activités patient centric ?
Patrice Carayon : En définissant notre raison d'être, nous définissons les parties prenantes dont justement les associations de patients. Ce n'est pas exclusif, mais c'est une des parties prenantes les plus importantes. D'ailleurs, nous remarquons qu'au-delà des laboratoires pharmaceutiques désormais les autorités de santé prennent de plus en plus l'avis des associations de patients.
Chiesi évolue principalement dans le domaine respiratoire. Nous savons qu'il y a des associations bien structurées dans l'asthme, dans la broncho-pneumopathie chronique obstructive. L'idée est de pouvoir co-construire des solutions pour eux, qui sont au-delà du simple médicament. A travers, par exemple, des applications, des recommandations, des communautés pour faire du sport ensemble. En ce moment, nous avons un projet en cours qui s'appelle Agora, afin de réunir les patients BPCO d'une même région pour leur proposer d'aller marcher, de jouer au golf, faire des choses possibles même avec une BPCO.
Lucky Link : Un dernier mot pour Lucky Link ?
Patrice Carayon : Je suis d'emblée votre parrain pour que vous rejoignez la communauté des entreprises à mission. Parce que si vous pouvez porter le poids et la voix des patients c'est très important.
Lucky Link : Un challenge à nous lancer ?
Patrice Carayon : Le challenge, ça pourrait être dans un premier temps de savoir où Lucky Link se place, en tant qu'entreprise dans ces mouvements. Savoir si vous serez une future société à mission parce que vous êtes évidemment dans un écosystème vertueux. J'ai donc hâte d'entendre et de vous voir au comité d'entreprise à mission.
L'autre challenge ça serait de nous aider avec quelques entreprises du médicament, à monter la connaissance des associations de patients vers ce changement de paradigme que donne la loi Pacte. À travers l'évolution de laboratoires pharmaceutiques qui deviennent sociétés à mission.
Chiesi est sur le chemin d'aller contacter ces associations de patients. Nous allons partir de loin puisque le niveau de connaissance reste faible dans cette communauté. Donc votre challenge serait de faire en sorte que les rencontres puissent se faire de manière plus fluide.
L'ensemble des propos cités ont été recueillis lors d'une interview réalisée et montée par Oriane Bismuth, Baptiste Saussine et Audrey Le François
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Pour en savoir plus sur Patrice Carayon et sur leurs diverses actions :
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