Nous avons eu la chance d'interviewer Guillaume Desnoës, co-fondateur de l'entreprise Alenvi et trésorier de la Communauté des entreprises à mission. Nous avons abordé avec lui l'importance de l'engagement des entreprises, notamment dans le secteur de la santé.
Interview à retrouver sur la Lucky TV ou en version retranscrite ci-dessous.
Lucky Link : Pouvez-vous présenter l'entreprise Alenvi ?
Alenvi est une entreprise sociale créée il y a quatre ans et demi au côté de Thibault de Saint Blancard et Clément Saint Olive. Nous avons pour raison d'être d'humaniser l'accompagnement des personnes qui ont besoin d'aide.
Nous souhaitons ainsi valoriser les professionnels tout en réconciliant les enjeux humains et économiques du secteur. Cela s'effectue à travers deux activités : Il y a d'abord un service d'aide à domicile. Ce service pratique une organisation du travail innovante en équipe autonome pour revaloriser le métier d'aide à domicile et placer le professionnel au cœur de son travail. Et puis, on a une deuxième activité sous la marque Compani où nous formons des auxiliaires de vie et des encadrants du secteur de l'aide à domicile et du sanitaire et social. Nous leur enseignons la dimension humaine du métier car nous avons fait le constat que la dimension humaine, la communication ou encore la gestion des émotions étaient absentes des cursus de formation. Que ce soit en formation initiale ou continue.
Lucky Link : Pourquoi était-il important de d'inscrire Alenvi dans des mouvements d'engagement d'entreprises ?
A titre personnel j'avais déjà créé une entreprise en 2008, qui s'appelle Alvarum. J'y réalisais de la collecte de dons pour des associations caritatives en organisant un événement nommé La Course des héros. Cet évènement permet de mobiliser des fonds pour des associations dans le domaine de la santé.
Concernant l'entrepreneuriat, cela m'a toujours intéressé mais ce n'est pas forcément créer une entreprise pour créer une entreprise qui m'intéresse, mais plutôt créer une entreprise pour apporter une réponse à un vrai problème de société.
Lucky Link : Comment Alenvi se positionne par rapport aux différents labels d'engagement d'entreprises (ESS, ESUS, B-COP,...) ?
Alenvi est une entreprise avec un statut d'entreprise solidaire d'utilité sociale qui nous fait appartenir au champ de l'économie sociale et solidaire.
Nous sommes également une société à mission. Je suis, personnellement, trésorier de la Communauté des entreprises à mission donc on est très promoteur de la société à mission. Alenvi porte, ainsi, un plaidoyer pour que l'ensemble du secteur du grand âge et de la santé deviennent société à mission lorsqu'il s'agit d'entreprise privée.
En revanche B-corp, on ne l'est pas pour l'instant, mais nous envisageons de l'être prochainement.
En fait, ces différents outils sont plutôt complémentaires :
ESUS est un dérivé du monde coopératif. Elle permet plutôt d'ancrer le fait que l'entreprise a des objectifs de lucrativité limitée, un certain équilibre des salaires entre les plus hauts et les plus bas. Ainsi, nous ça nous va très bien, parce que dans leur secteur, il est important de montrer qu'on est là pour valoriser les salariés.
Société à Mission, c'est vraiment une nouvelle possibilité qui est ouverte à toutes les entreprises. Elle permet de créer une gouvernance au service de l'ensemble des parties prenantes avec une notion d'objectif, d'impact environnemental et social. Elle met en place un comité de missions qui, dans la durée, va aider l'entreprise à progresser sur l'atteinte des objectifs de sa mission. Il y a donc une notion d'amélioration continue. De plus, c'est généralisable, de notre point de vue, à toutes les entreprises de notre secteur, ce qui, pour ESUS, n'est pas forcément le cas.
B-Corp, c'est très intéressant car pour le coup un vrai label là où les autres schémas sont plutôt des cadres juridiques de gouvernance. C'est un label de mesures extra financière qui permet d'avoir un référentiel qui s'applique à toutes les entreprises et qui est un très bon outil pour se poser les bonnes questions sur l'ensemble de ces pratiques, à la fois dans son cœur de métier, mais également dans plein de choses qui peuvent paraître périphérique et qui aident à avoir une cohérence globale sur son impact environnemental et social et de se comparer aux autres.
Ces différents outils sont vraiment très complémentaires. C'est le signe d'un vrai mouvement de masse et d'ailleurs, on voit de plus en plus de structures qui adoptent et utilisent ces différents outils.
Lucky Link : Que diriez-vous à ceux qui ne participent pas à ces mouvements d'engagement ? Et à ceux qui hésitent ?
Aujourd'hui, je pense qu'il y a tellement d'attente de toutes les parties prenantes, que ce soient les salariés qui peuvent rejoindre les entreprises, les bénéficiaires, patients ou clients, selon le domaine dans lequel on est, et les actionnaires qui recherchent aussi des entreprises qui, certes, génèrent de la rentabilité, mais produisent aussi un impact positif mesurable. Quand on est dans le domaine de la santé, pour moi, c'est presque une évidence que d'essayer de construire une entreprise qui équilibre les objectifs économiques et les objectifs sociaux voire environnementaux.
"Quand on est dans le domaine de la santé, c'est presque une évidence que d'essayer de construire une entreprise qui équilibre les objectifs économiques et les objectifs sociaux voire environnementaux."
Enfin, je pense que l'exercice du métier d'entrepreneur ou de dirigeants est plus agréable lorsqu'on a mis en place un système où l'on travaille aussi bien pour les patients, bénéficiaires, salariés et actionnaires.
Lucky Link : Nous encourageons les acteurs de santé à s'engager d'autant plus dans ces mouvements responsables du fait de leur secteur d'activité. Qu'en pensez-vous ?
A l'origine beaucoup d'initiatives dans le domaine de la santé ne se sont pas prises pour des questions de rentabilité financière mais avant tout par volonté d'améliorer le sort de son prochain. Cela a pu se faire à travers des initiatives publiques, associatives, et depuis quelques décennies des initiatives d'entreprises privées. Après, il y a peut-être eu dans les dernières décennies, comme dans tous les domaines, une forme de dérive. Pour autant, je pense qu'il existe un réel mouvement de remise en question de ces dérives-là. Il y a un changement d'époque.
Lucky Link : Y'a-t-il, selon, un lien entre cette recherche de sens dans l'entreprise et la crise sanitaire ?
Oui, je pense que le constat que tout le monde partage depuis quelques années est que l'on n'a jamais été aussi intelligent. Je ne sais plus combien de brevets déposés dans le monde par an, mais c'est quasiment deux fois plus qu'il y a vingt ans. Pourtant, il y a des endroits, y compris dans les pays développés, où l'espérance de vie diminue.
Ainsi, la qualité de vie a tendance à se dégrader alors que la science progresse. Je pense donc que tout le monde a conscience qu'il y a une espèce de décalage. La question est de comment faire en sorte que cette intelligence, ce progrès, soit au service de l'amélioration de notre qualité de vie.
La crise de la Covid-19 a évidemment mis un coup de projecteur à ce problème. On s'est rendu compte, qu'en réalité, on était très vulnérable. Notre société a créé des immenses vulnérabilités par le fait qu'elle a sous valorisé l'humain dans l'organisation du travail et des métiers. On a ainsi compris que les gens qui faisaient tenir le système comme les auxiliaires de vie, mais aussi tous les professionnels de santé, étaient sous payés par rapport à leur importance. Puisqu'au final, quand il y a une crise, ce sont eux qui nous font tenir debout. Cela était une prise de conscience, les actions restent encore à prendre.
Lucky Link : Pouvez-vous nous parler de votre livre "un pacte" ?
Dans mon livre, "un pacte", le constat que j'ai fait justement, c'est que toutes les professions de la santé ont des serments, ce qui est un fruit de l'histoire.
Au niveau de la société, on a une vision assez claire de ce que doit être un bon exercice de la médecine ou pas. On a érigé des principes qui sont partagés et qui en tant que patients, par exemple, peuvent nous permettre d'avoir un avis sur comment notre médecin pratique son activité. Ça existe aussi pour les avocats de profession, mais c'est quelque chose qui, pour les entrepreneurs, n'existe pas.
La différence entre le bon et le mauvais entrepreneur, comme celle entre le bon et le mauvais chasseur dans le sketch des Inconnus, c'est une question qui nous embête, à laquelle on ne sait pas répondre. Personne ne peut dire ce qu'est un bon entrepreneur.
Je pense qu'il y a tout un tas de bonnes pratiques dans différents domaines qui forment une sorte d'état de l'art. Aujourd'hui, si on veut contribuer au maximum à la résolution des problèmes environnementaux et sociaux, il faut s'inspirer de toutes ces bonnes pratiques.
Je distingue trois domaines pour ces bonnes pratiques.
Le premier domaine, je l'appelle l'entrepreneuriat moral : Un management qui permet de créer un cadre de travail axé sur le respect de la personne humaine, la responsabilisation. Ce qui est du domaine de l'initiative individuelle des cadres et des dirigeants de l'entreprise. On voit là-dedans toute une mouvance d'entreprises libérées, l'entreprise centrée sur l'autonomie dont Alenvi fait partie.
Un autre domaine qui est celui de la gouvernance là où vous avez effectivement les sociétés à missions, les entreprises de l'économie sociale et solidaire, les coopératives qui considèrent qu'avec le cadre juridique, elles arrivent finalement à réguler le fonctionnement de l'entreprise.
Puis vous avez toute la mesure d'impact qu'on retrouve notamment avec la mouvance B-Corp, ou Tech For Good.
"Un serment d'Hippocrate des entrepreneurs"
Ce que j'essaie de dire dans le livre, c'est que ce n'est pas une des dimensions qui va résoudre tous les problèmes. Je trouve que parfois, il y a des chapelles. Vous avez des gens qui travaillent beaucoup sur le management avec des entreprises libérées, mais finalement, ne s'intéressent pas forcément à la gouvernance ou la mesure d'impact. On voit que parfois, ça peut poser problème parce que certaines peuvent être remises en cause par un actionnaire du jour. A côté de ça, vous avez des entreprises qui, par exemple, considèrent que parce qu'elles ont un statut coopératif, sont vertueuses par nature. Mais en réalité, ce n'est pas pour ça qu'on a un impact positif ou que le management est bon. Enfin, vous avez des entreprises qui sont très arcs boutés sur des indicateurs d'impact et qui considèrent que ça suffit à les rendre vertueuses ou contributrices, alors que derrière, on peut se poser des questions aussi sur la gouvernance fiscale, un indicateur qui peut vite changer la réalité.
"Je plaide aussi pour que le cadre des sociétés à missions s'applique à toutes les entreprises de l'économie de la vie, la santé, l'alimentation, l'éducation."
Je plaide donc pour que les entrepreneurs s'intéressent vraiment aux trois domaines. C'est ce qu'on essaye de faire à Alenvi, avec un axe sur l'innovation managériale, la gouvernance de la société, et la mesure d'impact.
Je vais aussi un peu plus loin en proposant notamment qu'on crée un serment d'Hippocrate des entrepreneurs pour partager une forme de cadre, d'éthique, de morale qu'on pourrait avoir tous les jours dans la vie de l'entreprise. On donne des cours de morale dans les écoles. Pourquoi y en aurait-il pas pour les entrepreneurs ?
Je plaide enfin pour que le cadre des sociétés à missions s'applique à toutes les entreprises de l'économie de la vie, la santé, l'alimentation, l'éducation ou finalement avoir une gouvernance au service de l'ensemble des parties prenantes ne peut être que bénéfique.
Lucky Link : Selon Lucky Link, les partenariats entre les différents acteurs de santé sont source d'impact positif, qu'en pensez-vous ?
Je pense que c'est de toute façon l'idée, c'est que les entreprises soient au service de l'ensemble des parties prenantes. Pour moi, quand une entreprise cherche des objectifs sociaux, généralement, elle n'est pas la seule à poursuivre cet objectif. Donc, naturellement, cela incite à collaborer avec tous ceux qui poursuivent les mêmes objectifs. Il faut chercher plutôt des logiques de coopération que de compétition.
Si vous vous lancez dans une démarche de coopération, je pense qu'il y a sans doute plein d'opportunités business, mais qui ne sont pas forcément complètement prévisibles et rationalisées à l'avance. Le fait de coopérer plus largement avec ses parties prenantes doit d'abord être un choix, à mon avis une conviction, pour ensuite déboucher sur des opportunités.
Lucky Link : Auriez-vous un challenge à lancer à Lucky Link ?
A la Communauté des entreprises à mission, nous avons pour objectifs que 10 00 sociétés deviennent des sociétés à missions dans les prochaines années. Ce serait bien que Lucky Link en accompagne au moins quelques dizaines.
Lucky Link : Un mot pour finir ?
Bravo pour ce que vous faites et je suis sûr que dans le contexte actuel, vous devez avoir de plus en plus de demandes parce que votre offre répond aux besoins des acteurs de la santé.
Pour en savoir plus sur Alenvi et Guillaume Desnoës et sur leurs diverses actions :
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